Notre Monde dans tous ses Etats

Notre Monde dans tous ses Etats

19 - Libération

Il est des expériences qui sculptent leur empreinte sur l'écorce de notre existence : Le premier orgasme, le dernier jour du service militaire, le jour de notre mariage, l'anniversaire de notre demi-siècle, la perte d'un être cher, une vessie qui se bouche, le premier cornet de frites.

Toc toc. L'infirmière, est entrée et lui a donné 2 Xanax à avaler. Il comprit ce que ça signifiait. Peu de temps après, des pensées drôles lui traversaient l'esprit. Par exemple un crocodile qui vient directement se livrer dans une maroquinerie, qui résigné et las, n'essaie même plus d'échapper à la chasse dont il fait l'objet pour réaliser des objets de luxe. Il se sentait détendu et il souriait bêtement de l'état euphorique dans lequel il se trouvait, se rendant bien compte que ce qui l'amusait était en complet décalage avec la réalité. On allait lui enlever deux gros calculs sous anesthésie générale par les voies naturelles, ce qui pour lui revenait ton bonnement à vouloir faire passer un pavé dans un tuyau d'arrosage. En tout cas c'est comme ça qu'il voyait la chose. Et il allait partir pour le bloc mais on aurait bien pu l'amener au deuxième étage de la Tour Eiffel pour faire un saut à l'élastique qu'il n'aurait pas été plus inquiet que ça.

Finalement 2 types sont venus le chercher. Ils ont empoigné son lit. Le deux mille sept cent vingt quatrième depuis le début de leur carrière. Le lit aurait très bien pu être vide, il l'aurait quand même emmené tellement ils étaient 'programmés' pour cette activité, indifférents qu'ils étaient. Grand moment de solitude.

Au bout du chemin, il a été installé sur la table d'opération, « 1, 2, 3 et hop », on lui  installa une prise sur la grosse veine dans le creux du bras. Il savait que dans quelques instants il allait quitter ce monde, que son cerveau allait tout débrancher. Une sorte de désert noir. Plus de bruit, plus de sensations, plus conscience d'exister, même pas un rêve lorsqu'il se réveillera. Un moment d'inexistence. Un échantillon de la mort. Un départ doux en moins d'une seconde.

Le temps que dura ces pensées, l'anesthésiste lui avait injecté une première partie du produit et il avait du mal à fixer les néons du bloc opératoire, après l'avoir prévenu d'un « Bon ! On va y aller ». Il savait qu'il ne lui restait plus que quelques secondes avant le grand saut dans le noir absolu. A la deuxième injection : Rideau.

Le réveil fût à l'image de son endormissement : Immédiat. Il parlait des personnes qui travaillaient dans cet établissement. Ou plutôt il s'était réveillé en parlant. En fait il n'aurait pas su dire à quel moment, ni vraiment comment il s'était réveillé. Avait-il commencé à parler, puis s'était-il réveillé ensuite, ou l'inverse ? Il se sentait heureux de reprendre contact avec la vie. Une jeune femme l'écoutait, et il lui semblait que c'était un bon début. Mais assez vite elle fît appel aux deux lascars qui le ramenèrent dans sa chambre.

Là on lui installa une bouteille de morphine en goutte à goutte. Il ne comprit pas pourquoi. Rien ne semblait justifier une telle précaution. Mais lorsqu'il commença le début d'une ébauche de mouvement pour voir ce qui pendait au bord de son lit, il reprit aussitôt sa position initiale, et compris à quoi allait servir la fameuse bouteille. Il souleva le drap et il eu une vision d'horreur. Deux tuyaux, ficelés l'un a l'autre par un fil de couleur verte entraient par son sexe et allaient se propager à intérieur de son organisme. La douleur lui semblait être provoqué par le fil vert. Ce fil empêchait le glissement naturel des sondes dans ce conduit si fragile et délicat, si bien que le moindre mouvement du corps entraînait inévitablement un mouvement, même infime, de cet ensemble de tuyaux entourés de barbelés dans sa verge, avec les conséquences que l'on peut facilement imaginer. Personnellement je n'échangerais pas ma place contre la sienne. Je suis tranquillement assis devant mon portable avec Nils Landgren directement connecté aux oreilles, et une Leffe qui me coule dans le gosier par petites doses. Et en ce qui concerne mon sexe il est libre de tout mouvement sans entrave. On a peine à apprécier ces petites choses du quotidien, comme remettre son sexe en place dans son jean, sans pour autant tomber dans les digues digues, en poussant un cri d'horreur, et en sombrant dans un coma profond.

Il n'avait qu'une chose en tête : I MMO BI LISME. Il dormit donc sur le dos. Quand je dis "dormit", c'est un bien grand mot. Sur le dos pour lui, impossible de dormir. Sa position préférée était celle du fœtus, pour retrouver la tranquillité originelle lui permettant de glisser dans le sommeil sans difficulté. Je ne dis pas qu'il n'a pas fermé l'œil de la nuit mais ça doit se compter en dizaines de minutes, guère plus. Il a eu le temps de voir le jour se lever, et de méditer sur sa condition d'être humain ; complexe et fragile à la fois. En attendant son corps voulait se débarrasser des tuyaux. De la vessie, à l'extrémité de son sexe, en passant par les muscles périnéaux, tous unissaient leur force pour évacuer toute cette tuyauterie étrangère. Inévitablement – et là les hommes vont bien saisir de quoi il est question – la sensation d'une légère fatigue le matin, le fait justement que ce soit le MATIN, que quelque chose fait plus que titiller ses organes si sensibles, et faut-il rappeler que toute la plomberie traverse une glande sensible : la prostate. Il se retrouvait avec une belle érection. Pas un commencement d'érection, mais une érection bien propre, sans bavure, solide. Bien sûr c'était toujours ça de gagné. Au moins de ce côté-là ça fonctionnait. Mais un problème n'allait pas tarder à se poser, et ça il le savait bien. Il fallait essayer d'y faire quelque chose, trouver une idée. La seule chose qu'il avait trouvée c'était de se replonger dans sa lecture. Essayer d'oublier l'état de son organe. Essayer d'oublier son organe. Oublier tout cet équipement qui le traverse. Il arrivait à plonger dans l'histoire, mais rien à faire ce n'est pas lui qui pouvait commander l'état de son organe. Ce tuyau stimulait d'une façon ou d'une autre ses organes, qu'il bouge où non, qu'il essaie d'oublier tout ça ou non. Parfois la vie devient incontrôlable, impossible de remettre la main dessus. Et il y aurait eu d'autres circonstances où il aurait bien aimé se trouver dans cette situation d'érection interminable, à faire rougir Eiffel, des situations où précisément tout s'écroulait, fondait, et bien que sa partenaire lui disait que ce n'était pas grave ; il sentait bien que c'était foutu. Ce qui devait arriver arriva.

Elle entra avec son chariot sur lequel il y avait tout le matériel pour faire face aux situations les plus inattendues.

« Bonjour. On va retirer la sonde

- Non là ça ne va pas être possible. »

La mission lui semblait impossible, tout simplement parce que son corps s'était crispé sur les tuyaux, et ne semblait pas vouloir se détendre le moins du monde pour l'instant et il n'avait pas la main sur ce phénomène. D'ailleurs nous n'avons jamais la main sur ce phénomène, si je puis dire ! En attendant l'infirmière qui avait pris soin de lui depuis son arrivée dans ces lieux, se trouvait à une cinquantaine de centimètres. Elle se retourna et remis de l'ordre sur son chariot, gagnant quelques précieuses secondes espérant que la situation devienne acceptable pour tout le monde. Visiblement elle avait du métier. Elle se saisi d'une sorte de grosse seringue en plastique, sans aiguille, et à la vision de cet objet, une sueur froide lui traversa l'échine et eu pour effet de relâcher toute la tension qu'il avait accumulée malgré lui. Elle souleva le drap et de façon très professionnelle emboîta la seringue sur le côté de la sonde, aspira avec la seringue, comme pour faire le vide et tira sur les tuyaux qui ne manifestèrent aucune résistance, et l'ensemble fit SLURP en répandant sur le drap des matières visqueuses de couleurs allant du jaune au rouge. On aurait dit une abstraction de coucher de soleil, mais là il fallait être connaisseur pour apprécier. L'image qui lui vint à l'esprit est celle d'une femelle gnou qui en mettant bas évacue également le placenta. Il se senti un point commun avec les femmes avec ce simili accouchement. Sans douleur il faut quand même le préciser. Sans les heures de souffrances. Elle rabattit le drap. L'opération n'avait durée que quelques secondes.

Pour la première fois depuis plus d'un mois, son sexe pouvait flotter en plein vent, et se sentir libre. Il lui trouva spontanément un petit nom : Kiki. Et les paroles du Général lui vinrent spontanément à l'esprit. « Kiki occupé, Kiki outragé, Kiki maltraité, Mais Kiki libéré. »



30/07/2007
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